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« Don’t Look Up : Déni cosmique », ou le scepticisme humain face aux changements climatiques, la catastrophe planétaire banalisée

Beaugrain Doumongue, Ingénieur civil
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✍🏾Par Beaugrain Doumongue, Ingénieur civil

Beaugrain Doumongue, Ingénieur civil

Beaugrain Doumongue est ingénieur du bâtiment. Ex Secrétaire général, porte-parole et président de la Commission BTP du Centre Africain de Veille et d’Intelligence Économique (CAVIE), il a précédemment servi pendant deux ans en tant que Coordonnateur des clubs de jeunesse du Centre sur le continent africain. Dans cette contribution, il propose une reflexion sur « Don’t Look Up : Déni cosmique », une comédie dramatique américaine écrite et réalisée par Adam McKay, sortie en 2021.

La parution récente de « Don’t Look Up : Déni cosmique » est infiniment révélatrice de réalités qui racontent l’humain contemporain dans toute sa splendeur. Le goût immodéré du confort, de l’insouciance et d’une vie paisible à l’ombre des menaces planétaires, nous est plus que jamais congénital. La cicatrice du monde fini est d’autant plus palpable que nombre d’entre nous reculent énergiquement devant la nécessité de faire leur part du colibri. Comment ne pas y déceler un air de déjà vu, de mémoire climatique humaine ?

L’alerte

Lorsque la doctorante Kate Dibiasky (représentée par Jennifer Lawrence) observe une comète – qu’elle baptisera de son nom- se diriger droit sur la planète, 6 mois et 14 jours avant l’impact présumé, sa première réaction est d’en informer son équipe, dirigée par le Dr Randall Mindy (représenté par Leonardo Dicaprio). Ils se hâtent d’en faire cas aux autorités compétentes à l’effet de prendre les mesures idoines pour éviter le pire, mais font face à un rejet. Brutal.

Cette première réaction donne suite, après vérification et prise en compte de la question à des fins politiques à une reconnaissance. On observe un délai entre les deux temps (information et prise de conscience) qui semble rappeler les neuf années qui se sont écoulées entre la première conférence sur le climat de l’Organisation météorologique mondiale en date de 1979, et la tenue d’une audience devant le sénat américain, en 1988, au cours de laquelle le Climatologue James Hansen rappela l’implacable position de la science sur la question du réchauffement planétaire.

En effet, la conférence de Genève avait mis en évidence la croissance du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique liée à l’usage non moins croissant des énergies fossiles par l’industrie et les ménages. Mais il fallut attendre l’intervention de James Hansen pour stimuler une prise de conscience apparemment collective. « Primo, l’année 1988 est la plus chaude qu’on ait connue depuis le début des relevés. Secundo, l’ampleur atteinte par le réchauffement climatique nous permet d’affirmer avec une quasi-certitude qu’il est lié aux gaz à effet de serre. Et tertio, nos simulations informatiques indiquent que l’effet de serre est déjà assez important, pour augmenter la probabilité de phénomènes extrêmes comme les canicules. » lançait alors le scientifique de la NASA.

L’inefficace mise en marche

Les personnalités politiques, désormais conscientes de la menace, décident de mener une action concrète, consistant en une frappe préventive, visant à disloquer en partie la comète et à la faire dévier de sa trajectoire. A ce stade l’euphorie est collectivement partagée. La Terre va être sauvée. Les avertissements de la science sont enfin entendus. L’action scientifique motive de concrètes actions politiques. Un bonheur partagé, qui rappelle la mobilisation active de la communauté internationale contre les émissions de polluants après la découverte du trou d’ozone antarctique dans les années 1980, qui conduit à l’adoption en 1985 de la Convention de Vienne sur la protection de la couche d’ozone. Johan Rockström dit de cette époque, in Notre planète à ses limites : L’alerte de la science, qu’elle représente « le premier et le seul exemple qui montre qu’une solution globale peut être adoptée ».

Et pour cause ! On voit très vite (dans notre film) que l’opération contre la comète sera étouffée, à peine lancée, par les intérêts capitalistes qui voyaient une opportunité dans les ressources gisant dans les matériaux constituant la comète. Des oppositions politiques à l’échelle planétaire ont démontré la mainmise de ceux qui ne jurent que par le profit. Les velléités de tentatives engagées par la Russie entre autres ont ainsi été neutralisées autant que les rébellions du Dr Mindy et de Kate Diabasky, rejoints par le Dr Oglethrope, ont été censurées. « A quoi serviraient des milliers de milliards si la planète s’éteint », s’interrogeait à juste titre le Dr Mindy. C’était sans compter la suprématie de la boulimie du confort, qui tient l’humanité dans une course résolue au toujours plus.

Cette partie nous fait évidemment penser aux multiples Conférences des parties qui se sont succédées sans jamais manifester de changements concrets depuis la naissance de l’Agenda 21 au Sommet de la Terre de Rio en 1992. L’exemple du Protocole de Kyoto, né de la COP1 (Berlin, 1995), et ayant abouti à l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements Climatiques en est frappant. Car après huit ans de longues joutes politico-diplomatiques, le protocole est signé en 2005 par 191 Etats, hors Etats-Unis, Afghanistan et Soudan. On perçoit ainsi, à quel point les intérêts étatiques représentent un goulot qui étrangle l’initiative commune. Parce que le bien commun n’est pas toujours partagé. Les propos de Georges W. Bush sur le sujet, en 2005, sont clairs : « Je n’obligerai pas notre pays à respecter un obscur traité international qui mettra des millions d’américains au chômage ». Les allers et retours des USA des Accords de Paris, au fil des exécutifs changeants ne font qu’enraciner cette réalité.

La quête de sens

Il est classique dans l’aventure climatique mondiale, de voir des politiques ignorer la question, en feignant, pour la forme, de s’y intéresser. Al gore disait d’ailleurs, à ce propos, que pour ces leaders, admettre la réalité reviendrait à se voir contraint par l’obligation morale d’agir. Il est donc plus facile d’ignorer le problème, ou de le relativiser, en propulsant vent debout la cohorte des climatosceptiques. Le déni cosmique est plus que jamais révélateur du déni climatique qui a cours dans le monde depuis près d’un demi-siècle.

Pourquoi les gens ne sont-ils pas terrifiés ? Que doit-on leur dire ? Que doit-on faire ? autant de questions auxquelles Dr Mindy n’aura pas donné de réponse, car l’Homme est ainsi fait que sa réaction n’est résolue que lorsqu’il devient question de survie, préférant d’abord rêver et se complaire dans un discours réconfortant.

L’appât du gain ne devrait pas occulter les vrais enjeux, ni déliter les valeurs propres. Le bon sens des choses devrait être un besoin quotidien pour l’ensemble de l’humanité. Aussi vrai que la diversité des opinions et des conduites soit intrinsèque au fonctionnement du monde. Mais le sens dans lequel ira la masse déterminera si l’humanité sera condamnée à l’apocalypse ou à une destinée moins tragique. Des avancées concrètes seraient envisageables si nous répondions majoritairement oui, à la question du Dr Mindy : « Quand on y pense, on avait vraiment tout. N’est-ce pas ? ». Mais pour cela, il faudrait éviter de la poser au passé.

✍🏾La Tempête Infos, Avec La Croix Afrique

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